Elle ...
Moins 3 degrés dehors, une fine neige s'abat depuis quelques jours sur l'impasse. Au bout de la rue, les cloches sonnent déjà, mais peu de monde se presse dans l'église.
Les pas sont lents et pas très assurés, le troisième pied est essentiel tout comme le bras de la petite fille, ça glisse, il fait gris.
L'entrée au temple est problématique, les marches glissent et cette vision près de l'autel est cauchemardesque pour Elle. Elle ne connaît plus personne, ça fait si longtemps que tous sont partis.
La famille proche se précipite sur Elle. Quelques larmes, des embrassades, de l'émotion. Elle s'assoit, enlève son manteau et attends que Madame La Pasteur commence l'office. Les mots sont douloureux et surfent sur un silence de plomb.
Quelques chants religieux, un petit CV, une chanson en particulier retient son attention "Prends ma main dans la tienne" est entonnée une dernière fois par les paroissiens, croyants ou non.
De longs sanglots accompagnent la sortie, difficile. Remettre le manteau, les gants, l'écharpe, ne pas oublié le troisième pied, changer de mouchoir, sortir du banc, ne pas glissé sur les pierres. Tout est rallongé comme si le temps s'était arrêté.
Dehors, les oiseaux ne chantent plus. Il y en a encore beaucoup malgré la neige, Elle le sait, Elle les nourrit tous les jours devant sa fenêtre. Mais Elle n'entend rien, Elle suit juste péniblement le cortège.
Arrivée quelques mètres plus loin, Elle s'agrippe a la main de sa petite fille, fébrile. La Pasteur assène encore quelques "au nom du Père" et jette un peu de terre. La tension monte.
Il faut maintenant qu'Elle traverse ces allées étroites pour Elle aussi mettre un peu de terre. Elle manque de tombé dans le trou : des larmes à ne plus en finir, le troisième pied, les gants, l'écharpe, et la pelle avec la terre, trop de choses.
Elle ne le remarque pas, Elle s'avance un peu et fond en larme, cette fois-ci c'est bel et bien fini.
La famille encore une fois l'embrasse, la console, la cajole, lui propose son aide et l'invite pour le café.
La Tante, jeune mamie de 85 ans, pleine d'entrain et toute rigolote essaie bien de détendre l'atmosphère au café, mais rien n'y fait...
Elle, Elle a 82 ans et demi. Elle enterre sa meilleure copine, Sa Best comme disent les jeunes aujourd'hui. Elle enterre son amie de toujours, celle qui venait toutes les semaines faire un coucou. Elle enterre une partie de ses souvenirs. Elle se sent seule. Elle compte les Amis sur les doigts d'une main, pas ceux qui sont déjà partis, mais plutôt ceux qui sont encore là. La liste ne cesse de s'allonger et une certaine langueur de vivre s'installe chez Elle.
Elle aime sa famille, ses enfants, ses petits-enfants et peut être bientôt ses arrière-petits-enfants. Elle espère assister au mariage de quelques-uns d'entre eux, Elle tient, un peu.
Mais Elle est fatiguée d'enterrer à tour de bras ses proches, ceux de sa génération. Elle se dit qu'ils doivent faire de sacré fiesta là-haut et qu'Elle les rejoindrait bien dans pas longtemps.
Elle rentre, sous la neige, les épaules courbés et les yeux tristes, dans cette grande maison. Elle marche à petits pas, lents et douloureux, la troisième patte ne suffit presque plus, la fatigue lui pèse.
Elle est contente que sa petite-fille ait été là, Elle n'aurait pas réussit à affronter le froid toute seule.
Elle s'assoit devant la télé et contemple ses souvenirs, Elle qui est au crépuscule de sa vie...
Encore une qui se rajoute à la liste, qui sera le/la prochain/e ?
Elle peut-être, secrètement Elle l'espère, sûrement.
Elle s'en ira quand Elle le voudra, de la même façon que sa meilleure amie qui n'a pas souffert, Elle l'espère, Elle y pense et s'endort cette nuit encore seule, dans cette grande maison.